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Favoriser la diffusion de la culture et des savoirs
Conseil N.
a lancé une pétition à destination de
Le Premier ministre Manuel Valls
Dans une tribune publiée le 10 septembre 2015 dans le journal Le Monde, soixante-quinze personnalités
de la communauté scientifique, de la recherche, du numérique et de la
culture soutiennent les mesures du projet de loi numérique sur le
domaine public informationnel, l’open access des publications scientifiques et le text and data mining
.
Les biens communs vont bientôt faire leur entrée dans le droit français, à l’occasion de la future loi sur le numérique annoncée par Manuel Valls, issue des travaux de concertation du Conseil national du numérique. Il faut s’en féliciter : les biens communs - ou communs - nourrissent depuis toujours les pratiques d’échange et de partage qui structurent la production scientifique et la création culturelle.
La science a toujours été appréhendée comme un commun. Historiquement, la méthode scientifique implique une construction collective de la connaissance, organisée autour de la vérification et de la validation par les pairs. L’irruption massive du numérique dans la plupart des champs de l’activité humaine crée des situations nouvelles. Les réseaux facilitent l’émergence de larges communautés distribuées, capables de se mobiliser pour créer et partager les savoirs. Ces communs de la connaissance sont autant de gisements d’initiatives, de créativité et de mobilisation des individus dans un but collectif. Ils s’inscrivent dans une perspective plus large de défense d’un mode de propriété partagée et de gestion collective des ressources, sur le modèle des “communaux”, ces ressources naturelles gérées par tous les individus d’une communauté. Le numérique a réactivé cette notion qui a permis de rassembler des dynamiques autour des deux grandes transitions que notre monde connaît : la défense des communs informationnels, dans le cadre de la transition numérique et celle des communs naturels, dans le cadre de la transition écologique.
Il était donc temps de donner un véritable fondement juridique aux communs, pour adapter le droit aux pratiques existantes, comme l’ont souligné un grand nombre d’acteurs de la science et de la culture. C’est ce que fait le projet de loi numérique, en instaurant à la fois un statut pour le domaine public informationnel et en encourageant les pratiques d’open access et de text et data mining des publications scientifiques.
Le domaine public informationnel est composé de ce qui ne peut pas et de ce qui n’est plus encadré par la propriété intellectuelle. Sa protection est à l’heure actuelle peu effective. En effet celui-ci n’est défini qu’en creux du code de la propriété intellectuelle, ce qui ne permet pas de lutter efficacement contre les revendications abusives de droit sur une oeuvre : c’est ce qu’on désigne par le terme de copyfraud. Les exemples sont nombreux : il est ainsi fréquent que la numérisation d’une oeuvre du domaine public, ou même le simple fait de la photographier, serve de justification pour revendiquer un droit d’auteur sur cette oeuvre ! N’est-il pas étonnant - et c’est un euphémisme - que le département de la Dordogne ait pu revendiquer un droit d’auteur sur les reproductions de la grotte de Lascaux, 17 000 ans après la mort de ses créateurs ? Parce qu’il limite la diffusion et la réutilisation des oeuvres qui composent le domaine public, le copyfraud constitue une atteinte aux droits de la collectivité toute entière.
Créer un statut positif du domaine public est aussi le moyen de protéger de toute appropriation abusive les éléments ne pouvant pas faire l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, comme les informations, les faits, les idées, les principes… Des exemples de telles appropriations, qui remettent en cause les fondements du droit de la propriété intellectuelle, se multiplient en effet, alors même que la compétitivité économique repose de plus en plus sur la circulation des connaissances et des données. Ainsi Amazon a-t-il déposé un brevet sur la photographie sur fond blanc.
Or non seulement les pouvoirs publics n’avaient pas jusqu’ici tenté d’empêcher ces pratiques, mais ils continuaient largement à les justifier. Le projet de loi relatif aux données publiques, déposé récemment sur le bureau de l’Assemblée nationale, en est un exemple frappant : plutôt que d’interdire ces pratiques, il prévoit que la numérisation des ressources culturelles puisse entraîner l’attribution de licences d’exclusivité, sur le modèle de l’accord conclu en 2013 entre la BnF et ProQuest, et cela pour une durée illimitée. Or cet accord, qui avait défrayé la chronique, a eu pour conséquence de limiter l’accès du public à des oeuvres qui se trouvent pourtant dans le domaine public, au profit d’intérêts commerciaux, dont ceux de Goldman Sachs, actionnaire de l’entreprise. Rappelons également que la pertinence budgétaire des partenariats public-privé a été largement remise en cause par la Cour des comptes, ce qui rend difficilement soutenable l’argument financier souvent utilisé pour justifier le recours à ce type de contrat.
L’open access, déjà adopté chez nos voisins, notamment allemands et anglais, consiste à inscrire dans la loi la possibilité, pour les chercheurs qui le souhaitent, de publier en accès libre des articles de recherche qui ont été financés par l’argent public, à l’issue d’une courte durée d’embargo. Cette mesure a pour objectif de limiter la dépendance des institutions de recherche publique aux grands éditeurs scientifiques : actuellement ceux-ci sont soumis à un système de double paiement, alors même que depuis 2012 la Commission européenne invite les États membres à consacrer l’open access dans leur législation.
En effet, les chercheurs, financés par l’argent public, sont pour la plupart dans l'obligation, pour des raisons de visibilité et de carrière, de publier dans les revues scientifiques prestigieuses. Ils se trouvent donc dans une situation de dépendance face à des revues scientifiques qui appartiennent aujourd'hui à des oligopoles détenus par quelques grands éditeurs (Elsevier, mais aussi Springer, Wiley, Nature). Afin de pouvoir publier dans ces revues, les auteurs sont obligés de céder leurs droits d'auteurs. Ils fournissent également leur expertise pour définir les choix éditoriaux des revues. A cet égard, l’augmentation des prix des abonnements des revues ne semble pas trouver de justification, d’autant plus que le passage au digital a diminué de manière importante les coûts de publication.
Parallèlement, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche dépensent annuellement plus de 80 millions d’euros pour avoir accès aux ressources électroniques. Les prix d'accès ont d'ailleurs continuellement augmenté : de 7% par an depuis 10 ans. En 2011, la bibliothèque de l’ENS Ulm s’est par exemple acquitté de plus de 500 000 euros de dépenses pour des revues, sur les 2 millions d’euros qui constituent son budget. Cette situation limite donc fortement les avancées de la recherche tout en pesant sur les finances publiques.
Mais l’open access n’a pas pour unique objectif de réduire les dépenses des établissements publics, l’open access a un impact bien réel sur l’avancée de la recherche, voire dans certains cas sur la préservation de la santé publique. L’équipe en charge de la réponse du Liberia face à la menace du virus Ebola n’a ainsi pas pu accéder à certains articles du fait de leurs coûts importants, alors qu’ils auraient été nécessaires afin d’identifier le virus plus tôt et ainsi adapter plus rapidement les mesures de prévention et de soin.
D’autres mesures sont nécessaires pour construire un environnement numérique ouvert et propice à la recherche, l’innovation et la création. L’exception pour la fouille automatique de données de texte (text et data mining) consiste à autoriser la recherche automatisée parmi un volume très important de textes ou de données : il est possible d’accéder à des résultats qui n’auraient pas pu être découverts par une autre méthode. Cela donnerait une force nouvelle à l’entrée de la recherche française à l’heure des mégadonnées (big data) et de réaliser des gains de productivité très importants, alors même que d’autres pays, comme le Royaume-Uni, le Japon et les Etats-Unis, ont pris une avance considérable dans ce domaine.
La véritable valorisation du patrimoine culturel passe par son usage ouvert au plus grand nombre. C’est d’ailleurs la mission historique des bibliothèques publiques, qui profiteront largement de ces dispositions. La circulation ouverte de la science nous aide à affronter les transitions auxquelles nous sommes confrontés. Une définition positive du domaine public et son inscription dans la loi serviront le rayonnement de la science et de la culture à l’heure du numérique. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne l’ont déjà compris. Qu’attendons-nous pour profiter, nous aussi, de la nouvelle audience et de la notoriété apportées par cette plus grande diffusion ?
Liste des 75 premiers signataires:
Pierre LESCURE, Président du Festival de Cannes, Journaliste
Bruno CHAUDRET, Directeur de Recherches CNRS, Président du conseil Scientifique du CNRS, Académicien
Denis PODALYDES, Acteur, metteur en scène, scénariste et écrivain français, et sociétaire de la Comédie-Française
Bruno LATOUR, Directeur scientifique de Sciences Po
Benoît THIEULIN, Président du Conseil national du numérique
Marc TESSIER, Président de Video Futur Entertainment Group et membre du Conseil national du numérique
Alain BENSOUSSAN, Avocat à la Cour d'appel de Paris
Michel WIEVIORKA, Sociologue, Président de la FMSH, Directeur d'études à l'EHESS
Paul JORION, Anthropologue, essayiste
Judith ROCHFELD, Professeur de droit privée à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1)
Patrick WEIL, Directeur de recherche au CNRS, Président de Bibliothèques sans Frontières
Yann MOULIER BOUTANG, Professeur des Universités en sciences économiques UTC
Antoine PETIT, Président et Directeur Général de l’INRIA
Nathalie MARTIAL-BRAZ, Professeur de droit Privé, Université Paris Descartes
Melanie DULONG DE ROSNAY, Chargée de recherche au CNRS, Responsable du pôle Gouvernance de l'Information et des Communs de l'Institut des Sciences de la Communication du CNRS/Paris-Sorbonne/UPMC, Co-fondatrice de l'association Communia pour le domaine public
Valérie PEUGEOT, Présidente de l’association Vecam
Bernard STIEGLER, Philosophe, président de l’association Ars Industrialis et Directeur de l’Institut de Recherche et d’Innovation (IRI) du Centre Georges Pompidou
Sophie PENE, Professeur à l’Université Paris Descartes
Daniel KAPLAN, Délégué général de la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (la FING)
Serge ABITEBOUL, Directeur de recherche à Inria et Professeur affilié à l’ENS Cachan
Pierre MUTZENHARDT, Président de l'université de Lorraine et Président de la commission recherche de la Conférence des Présidents d’Université
Dominique BOULLIER, professeur de sociologie, médialab Sciences Po
Camille DOMANGE, Chargé d'enseignement Sorbonne Paris I.
Christine BERTHAUD, directrice du CCSD, CNRS.
Claude KIRCHNER, Directeur de recherche Inria, Conseiller du président d’Inria, Président du comité de pilotage du Centre pour la Communication Scientifique Directe
Jean-François ABRAMATIC, Informaticien et ancien président du W3C
Brigitte VALLEE, Directrice de Recherche émérite au CNRS, rattachée au laboratoire GREYC (Caen Normandie)
François TADDEI, Généticien, Directeur du Centre de recherches interdisciplinaires
Albertine MEUNIER, Artiste
Claire LEMERCIER, directrice de recherche au CNRS en histoire, présidente du conseil scientifique d'Openedition, membre du conseil scientifique du CNRS.
Francis ANDRE, Chargé de mission Données de la recherche, Direction de l’information scientifique et technique, CNRS
Alexandre MONNIN, philosophe, chercheur chez Inria, membre du réseaux d'experts d'Etalab
Colin DE LA HIGUERA, Société informatique de France, directeur adjoint du Laboratoire informatique LINA à Nantes
Christine OLLENDORFF, Directrice de la Documentation et de la Prospective, Arts et Métiers ParisTech
Nicolas CATZARAS, Secrétaire général de la FMSH
Maurice RONAI, Membre de la CNIL, Chercheur à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
Fabienne ORSI, Economiste, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement
Pierre GINER, Artiste
Christian PHELINE, Membre de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), ancien directeur du développement des médias
Valérie BERTHE, Directrice de recherche CNRS et membre du conseil scientifique du CNRS
Jean-Pierre FINANCE, président de COUPERIN et du CA de l'ABES, ancien président de la CPU
Virginia CRUZ, designer, directrice adjointe de l'agence IDSL et enseignante à l'Ecole Polytechnique
John STEWART, Chercheur en sciences cognitives, Université de Technologie de Compiègne
Cécile MEADEL, Professeure de l'Université Panthéon Assas (Paris II)
Brigitte PLATEAU, Professeur des Universités, Administratrice Générale de l’Institut Polytechnique de Grenoble
Jean-François BALAUDE, Professeur de philosophie, Président de l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Hervé LE CROSNIER, Université de Caen Normandie
Anne VERNEUIL, Présidente de l'Association des Bibliothécaires de France
Sophie ROUX, Professeur d’histoire et de philosophie des sciences, ENS
Serge BAUIN, Université Sorbonne Paris Cité, chargé de mission libre accès aux publications scientifiques au CNRS
Margot BEAUCHAMPS, coordinatrice du Groupement d’intérêt scientifique M@rsouin
Michel BIDOIT, Directeur de l'Institut des Sciences de l'Information et de leurs Interactions, CNRS
Florence BELLIVIER, Professeur de droit à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
Alexis KAUFFMANN, Fondateur de Framasoft et du 1er Festival du Domaine Public
François CAVALIER, Directeur de la Bibliothèque de Sciences Po
Silvère MERCIER, Co-fondateur du collectif SavoirsCom1 - Politiques des communs de la connaissance
François MOREAU, Professeur d'Economie, Université Paris 13 & Labex ICCA
Emmanuelle JANNES-OBER, Présidente de l’association EPRIST
Gérald ELBAZE, Dirigeant coopérative d'innovation sociale et numérique Médias-Cité
Michel BRIAND, Responsable de la formation à Télécom Bretagne et acteur de réseau de réseaux coopératifs
Jean-Michel CORNU, Co-fondateur de Imagination for People
Tariq KRIM, Entrepreneur
Walter BONOMO, Organisateur des rencontres Médias 2030 à Nantes
Claire GALLON, Co-fondatrice de Libertic
Tristan NITOT, Chief Product Officer, Cozy Cloud
Lionel MAUREL, Co-fondateur du collectif SavoirsCom1, Membre du Conseil d’Orientation Stratégique de La Quadrature du Net
Marin DACOS, CNRS, Directeur et fondateur du Centre pour l'édition électronique ouverte (OpenEdition).
Armel LE COZ, Co-fondateur du collectif Démocratie Ouverte
Aurore CHAIGNEAU, Professeur de droit privé à l'université de Picardie - Jules Verne
Emmanuel NETTER, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Picardie - Jules Verne
François BONNAREL, Ingénieur de recherche en gestion de données astronomiques, élu au conseil scientifique duy CNRS. animateur du groupe de travail IST du CS.
Marie FARGE, Directrice de Recherche CNRS
Bruno BACHIMONT, directeur de la recherche de l’Université de technologie de Compiègne
Benjamin CORIAT, Professeur de sciences économiques à l'Université Paris 13
Yann BONNET, Secrétaire général du Conseil national du numérique
Organisations signataires suite à la publication de la tribune :
Les biens communs vont bientôt faire leur entrée dans le droit français, à l’occasion de la future loi sur le numérique annoncée par Manuel Valls, issue des travaux de concertation du Conseil national du numérique. Il faut s’en féliciter : les biens communs - ou communs - nourrissent depuis toujours les pratiques d’échange et de partage qui structurent la production scientifique et la création culturelle.
La science a toujours été appréhendée comme un commun. Historiquement, la méthode scientifique implique une construction collective de la connaissance, organisée autour de la vérification et de la validation par les pairs. L’irruption massive du numérique dans la plupart des champs de l’activité humaine crée des situations nouvelles. Les réseaux facilitent l’émergence de larges communautés distribuées, capables de se mobiliser pour créer et partager les savoirs. Ces communs de la connaissance sont autant de gisements d’initiatives, de créativité et de mobilisation des individus dans un but collectif. Ils s’inscrivent dans une perspective plus large de défense d’un mode de propriété partagée et de gestion collective des ressources, sur le modèle des “communaux”, ces ressources naturelles gérées par tous les individus d’une communauté. Le numérique a réactivé cette notion qui a permis de rassembler des dynamiques autour des deux grandes transitions que notre monde connaît : la défense des communs informationnels, dans le cadre de la transition numérique et celle des communs naturels, dans le cadre de la transition écologique.
Il était donc temps de donner un véritable fondement juridique aux communs, pour adapter le droit aux pratiques existantes, comme l’ont souligné un grand nombre d’acteurs de la science et de la culture. C’est ce que fait le projet de loi numérique, en instaurant à la fois un statut pour le domaine public informationnel et en encourageant les pratiques d’open access et de text et data mining des publications scientifiques.
Le domaine public informationnel est composé de ce qui ne peut pas et de ce qui n’est plus encadré par la propriété intellectuelle. Sa protection est à l’heure actuelle peu effective. En effet celui-ci n’est défini qu’en creux du code de la propriété intellectuelle, ce qui ne permet pas de lutter efficacement contre les revendications abusives de droit sur une oeuvre : c’est ce qu’on désigne par le terme de copyfraud. Les exemples sont nombreux : il est ainsi fréquent que la numérisation d’une oeuvre du domaine public, ou même le simple fait de la photographier, serve de justification pour revendiquer un droit d’auteur sur cette oeuvre ! N’est-il pas étonnant - et c’est un euphémisme - que le département de la Dordogne ait pu revendiquer un droit d’auteur sur les reproductions de la grotte de Lascaux, 17 000 ans après la mort de ses créateurs ? Parce qu’il limite la diffusion et la réutilisation des oeuvres qui composent le domaine public, le copyfraud constitue une atteinte aux droits de la collectivité toute entière.
Créer un statut positif du domaine public est aussi le moyen de protéger de toute appropriation abusive les éléments ne pouvant pas faire l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, comme les informations, les faits, les idées, les principes… Des exemples de telles appropriations, qui remettent en cause les fondements du droit de la propriété intellectuelle, se multiplient en effet, alors même que la compétitivité économique repose de plus en plus sur la circulation des connaissances et des données. Ainsi Amazon a-t-il déposé un brevet sur la photographie sur fond blanc.
Or non seulement les pouvoirs publics n’avaient pas jusqu’ici tenté d’empêcher ces pratiques, mais ils continuaient largement à les justifier. Le projet de loi relatif aux données publiques, déposé récemment sur le bureau de l’Assemblée nationale, en est un exemple frappant : plutôt que d’interdire ces pratiques, il prévoit que la numérisation des ressources culturelles puisse entraîner l’attribution de licences d’exclusivité, sur le modèle de l’accord conclu en 2013 entre la BnF et ProQuest, et cela pour une durée illimitée. Or cet accord, qui avait défrayé la chronique, a eu pour conséquence de limiter l’accès du public à des oeuvres qui se trouvent pourtant dans le domaine public, au profit d’intérêts commerciaux, dont ceux de Goldman Sachs, actionnaire de l’entreprise. Rappelons également que la pertinence budgétaire des partenariats public-privé a été largement remise en cause par la Cour des comptes, ce qui rend difficilement soutenable l’argument financier souvent utilisé pour justifier le recours à ce type de contrat.
L’open access, déjà adopté chez nos voisins, notamment allemands et anglais, consiste à inscrire dans la loi la possibilité, pour les chercheurs qui le souhaitent, de publier en accès libre des articles de recherche qui ont été financés par l’argent public, à l’issue d’une courte durée d’embargo. Cette mesure a pour objectif de limiter la dépendance des institutions de recherche publique aux grands éditeurs scientifiques : actuellement ceux-ci sont soumis à un système de double paiement, alors même que depuis 2012 la Commission européenne invite les États membres à consacrer l’open access dans leur législation.
En effet, les chercheurs, financés par l’argent public, sont pour la plupart dans l'obligation, pour des raisons de visibilité et de carrière, de publier dans les revues scientifiques prestigieuses. Ils se trouvent donc dans une situation de dépendance face à des revues scientifiques qui appartiennent aujourd'hui à des oligopoles détenus par quelques grands éditeurs (Elsevier, mais aussi Springer, Wiley, Nature). Afin de pouvoir publier dans ces revues, les auteurs sont obligés de céder leurs droits d'auteurs. Ils fournissent également leur expertise pour définir les choix éditoriaux des revues. A cet égard, l’augmentation des prix des abonnements des revues ne semble pas trouver de justification, d’autant plus que le passage au digital a diminué de manière importante les coûts de publication.
Parallèlement, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche dépensent annuellement plus de 80 millions d’euros pour avoir accès aux ressources électroniques. Les prix d'accès ont d'ailleurs continuellement augmenté : de 7% par an depuis 10 ans. En 2011, la bibliothèque de l’ENS Ulm s’est par exemple acquitté de plus de 500 000 euros de dépenses pour des revues, sur les 2 millions d’euros qui constituent son budget. Cette situation limite donc fortement les avancées de la recherche tout en pesant sur les finances publiques.
Mais l’open access n’a pas pour unique objectif de réduire les dépenses des établissements publics, l’open access a un impact bien réel sur l’avancée de la recherche, voire dans certains cas sur la préservation de la santé publique. L’équipe en charge de la réponse du Liberia face à la menace du virus Ebola n’a ainsi pas pu accéder à certains articles du fait de leurs coûts importants, alors qu’ils auraient été nécessaires afin d’identifier le virus plus tôt et ainsi adapter plus rapidement les mesures de prévention et de soin.
D’autres mesures sont nécessaires pour construire un environnement numérique ouvert et propice à la recherche, l’innovation et la création. L’exception pour la fouille automatique de données de texte (text et data mining) consiste à autoriser la recherche automatisée parmi un volume très important de textes ou de données : il est possible d’accéder à des résultats qui n’auraient pas pu être découverts par une autre méthode. Cela donnerait une force nouvelle à l’entrée de la recherche française à l’heure des mégadonnées (big data) et de réaliser des gains de productivité très importants, alors même que d’autres pays, comme le Royaume-Uni, le Japon et les Etats-Unis, ont pris une avance considérable dans ce domaine.
La véritable valorisation du patrimoine culturel passe par son usage ouvert au plus grand nombre. C’est d’ailleurs la mission historique des bibliothèques publiques, qui profiteront largement de ces dispositions. La circulation ouverte de la science nous aide à affronter les transitions auxquelles nous sommes confrontés. Une définition positive du domaine public et son inscription dans la loi serviront le rayonnement de la science et de la culture à l’heure du numérique. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne l’ont déjà compris. Qu’attendons-nous pour profiter, nous aussi, de la nouvelle audience et de la notoriété apportées par cette plus grande diffusion ?
Liste des 75 premiers signataires:
Organisations signataires suite à la publication de la tribune :
- ADBU : Christophe Pérales, Président ADBU
- FADBEN (fédération des enseignants documentalistes de l’Education nationale), Florian Reynaud, Président de la FADBEN
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Humanistica : Johann Holland, au nom du comité de coordination
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