Élections américaines: lettre au mouvement
Chères et chers membres d’Avaaz,
Je voulais vous écrire à coeur ouvert à propos de ce qui vient juste d’arriver aux États-Unis, et de ce qui se passe tout autour du monde.
Il est tout à fait légitime d’avoir ressenti un vrai choc. La première puissance mondiale sera bientôt dirigée par une star de téléréalité corrompue et ignorante, un menteur pathologique violent et autoritaire, un prédateur sexuel intolérant et vengeur. Ce ne sont pas des insultes, ce sont des faits.
Comment la démocratie peut-elle en arriver là? Comment réagir? Je voudrais partager 5 pistes de réflexion:
1) L’acceptation
-- Il est impossible de changer quoi que ce soit, dans le monde ou en nous-mêmes, sans l’avoir d’abord accepté. Alors respirons profondément et regardons la réalité en face: Donald Trump est Président des États-Unis. Et le “trumpisme” ou l’ethno-nationalisme pourraient l’emporter dans de nombreux autres pays.
2) L’évaluation holistique
-- Je n’ai pas de meilleur nom pour ce concept. Nos cerveaux sont programmés pour mieux retenir les mauvaises choses plutôt que les bonnes. On peut rapidement se laisser submerger par notre attention exagérée au négatif, et nous prenons alors de très mauvaises décisions. C’est le désespoir alimenté par cette négativité irrationnelle qui fait le succès des démagogues. Nous ne pouvons pas nous permettre d’y céder. Alors analysons la situation dans son ensemble, car il y a quelques faits rassurants:
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Il n’est pas tout puissant
-- Le pouvoir du président américain est limité par de nombreux contrôles et contre-pouvoirs: le Congrès, la Constitution, les tribunaux, son propre parti et les dirigeants étrangers.
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Il était encore récemment un démocrate libéral!
-- Trump est dangereux mais pas fou. Il a tenu des propos élogieux sur Hillary Clinton et financé certaines de ses campagnes. Nombre de ses positions sont finalement plus mesurées qu’à première vue. “Construire un mur” était juste une façon de dire qu’il allait renforcer le contrôle policier de la frontière américaine. C’est odieux, mais pas fou. Une large frange de son parti s’est même opposée à lui parce qu’il n’était pas assez conservateur.
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Il a exploité des préoccupations légitimes
-- Nul doute que le racisme, la misogynie et la xénophobie sont des moteurs du mouvement de Trump. Mais ses partisans ne sont pas tous des racistes ignorants. Les sondages ont montré que nombre de ses électeurs sont bien conscients de ses défauts mais souhaitent désespérément un changement, haïssent Hillary Clinton, et sont prêts à parier sur lui. En particulier, toute une frange d’hommes blancs d’un certain âge appartenant aux classes moyennes inférieures américaines voit ses revenus et son espérance de vie baisser, tandis que ses taux d’accoutumance aux drogues et de suicide montent en flèche.
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Le "peuple" n’est pas avec lui
-- Trump a perdu le vote populaire lors de cette élection (il a seulement gagné grâce à l’étrange système électoral américain, le “collège électoral”). Ne vous y trompez pas: ce n’est pas un raz-de-marée.
3) Un sens raisonné de l’urgence
-- Maintenant que nous acceptons la réalité et que notre évaluation holistique nous permet de ne pas nous affoler sans raison, tâchons de concentrer notre attention là où elle est nécessaire:
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Changement climatique
-- Pour Trump, c’est un canular. Il veut revenir sur l’Accord de Paris. Le changement climatique menace la survie de notre espèce et nous n’avons plus de temps à perdre. SI nous parvenons à ce que les dirigeants ne ralentissent pas l’allure, mais accélèrent, les États-Unis seuls ne pourront pas causer notre perte. Le reste du monde mènera la révolution des énergies propres qui rendra les énergies renouvelables bien plus économiques que les fossiles -- les États-Unis seront obligés de suivre le mouvement par simple pression économique.
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Fascisme
-- Nous ne savons pas quel genre de dirigeant sera Trump. Est-il un Berlusconi, ancien Premier ministre italien milliardaire à la sauce Trump, qui était terriblement corrompu et ridicule, sans pour autant être fasciste? Ou est-il un Mussolini? Nous devrons être sur nos gardes et répondre rapidement aux signes avant-coureurs d’érosion de l’État de droit, de fraudes électorales, d’intimidation des médias ou de discours de haine et de peur à l’encontre de certaines minorités.
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Guerre et terrorisme
-- Au cours de cette campagne, Trump a spontanément appelé au meurtre des familles de présumés terroristes et à recourir plus systématiquement à la torture. Ces positions sont un cadeau pour Daech et jetteront de l’huile sur le feu du conflit mondial avec l’Islam radicalisé. Ces idées sont pour la plupart illégales, mais nous devrons rester vigilants et être prêts à résister - à la fois aux États-Unis et à travers leurs alliés - si cet homme infantile et imprévisible a recours à l’armée américaine pour mener un terrorisme d’État.
4) Ce sont les médias, voyons
-- Malgré TOUTES les preuves du contraire, l’opinion publique américaine dans son écrasante majorité a vu en Hillary Clinton une personne plus malhonnête et corrompue que Donald Trump. C’est la raison principale pour laquelle Trump est Président. Et c’est la faute des médias. Les chaînes d’informations américaines ont consacré plus de temps au pseudo-scandale des emails de Clinton qu’à TOUTES LES AUTRES QUESTIONS POLITIQUES DANS LEUR ENSEMBLE. D’un côté, nous avons des médias de propagande partisans, impitoyables et sophistiqués, des quantités effroyables “d’informations” absolument fausses qui envahissent le cyberespace, et des armées de faux profils et de trolls mercenaires sur les réseaux sociaux qui confortent les gens dans des bulles complètement déconnectées de la réalité. Et de l’autre côté, nous avons des médias “impartiaux” qui font la chasse aux pseudo-scandales et à l’audience, et établissent des équivalences trompeuses entre les candidats, pour tenter de paraître équitables. Cette dynamique était déjà à l’oeuvre lors de la campagne sur le référendum pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Nous avons désespérément besoin de médias plus sensés. Très peu d’organisations travaillent là-dessus, et Avaaz doit se saisir du sujet.
5) C’est une IMMENSE opportunité, soyons à la hauteur
-- Le changement politique et social n’est ni régulier ni linéaire. Nous autres êtres humains n’apprenons jamais mieux qu’à travers les crises et les catastrophes, et nos plus belles lumières émergent souvent des heures les plus sombres. La Seconde Guerre mondiale a enfanté les droits de l’homme et les Nations Unies. Et les ténèbres du “trumpisme” pourraient nous aider à bâtir le mouvement pour le progrès et l’unité humaine le plus inspirant que le monde ait JAMAIS vu. Nous pourrions ainsi non seulement défaire les “Trumps” de tous nos pays, mais proposer de nouvelles politiques mettant les citoyens et l’intégrité au centre du jeu, des politiques qui changeraient les choses en profondeur, pour mieux nous diriger vers le monde dont nous rêvons tous. Mettons-nous au travail :)
Avec espoir, et mes excuses pour cette longue lettre,
Ricken